Ceux de l’arrière

A bord de tous les bateaux de la marine, comme à bord de tous les bâtiments de combat du monde il y a les hommes de la passerelle et ceux de l’arrière, les hommes des machines. Il y a ceux qui sont en grande tenue et qui donnent les ordres et ceux qui dans la chaleur des chaudières font tourner les hélices. Il y a au fond de la cale les bouchons gras et sous le ciel les intellectuels. Quiconque a vu ce merveilleux film qu’est Le Crabe-tambour se rappelle la figure du chef mécanicien joué par Jacques Dufilho qui considère que ce n’est pas Jean Rochefort le commandant mais bien lui puisque sans lui les hélices …

Débat éternel qui se prolonge même à l’heure de la propulsion nucléaire, alors que les chaudières suffocantes ont disparu, que l’informatique est aussi indispensable au réacteur qu’elle l’est aux turbines ou aux usines à oxygène qui à bord des sous-marins permettent à l’homme de respirer pendant les 70 jours que dure une patrouille sans voir le soleil. Et pourtant cette fierté de ceux de l’arrière subsiste, qui pour rien au monde ne laisseraient leur place. Quant à ceux de la passerelle qui donnent le cap, ils sont bien heureux que ceux de l’autre clan répondent dans la seconde à l’ordre venu d’en haut.

Rivalité ? Non car de la passerelle aux hélices c’est le même bateau, c’est la même mission, c’est le même équipage et aucun des membres de cet assemblage humain ne doit manquer. Des egos ? Pour servir qui ou quoi ? On est à des milliers de milles nautiques de la terre, personne ne nous voit. L’autorité, oui. Pas l’autoritarisme, l’autorité, la vraie, la plus belle des vertus lorsqu’elle s’exerce à bon escient, au bon moment, dans le respect de ce qu’est l’autre. L’autre où qu’il se place dans l’organigramme.

Et quand survient la crise, quand l’avarie met en péril le bateau que l’on croyait d’un acier si résistant, alors on a besoin de chacun. Et « chacun » est peut-être le plus humble qui, lui, aura la solution, une solution à laquelle même les intellectuels de la passerelle n’avaient pas pensé. Encore faut-il que ce plus humble soit reconnu, voire gratifié, que l’on donne toute leur valeur aux responsabilités qui lui ont été confiées. Quand la mer est belle car c’est par beau temps que se forge la confiance et quand la mer se fâche car c’est encore lui qui sait.

Le bateau, la mission, l’équipage, trois acteurs indissolublement liés. Pour le meilleur et si possible loin du pire. Le bon commandant est celui qui sait à tout instant faire de la solidité du bateau, de l’importance de la mission et de la force de l’équipage ses atouts maitres.