Gestion de crise des entreprises, il n’y a pas de fatalité
posté le 6 mai 2020
Face à la crise sanitaire actuelle, le gouvernement français a mis en place un plan massif pour tenter d’en limiter les conséquences économiques pour les entreprises. Cet « activisme » qu’il convient de saluer, s’est traduit par des mesures de réduction du coût de la masse salariale grâce au mécanisme du chômage partiel jusqu’au 1er juin, par la suspension temporaire du paiement des charges courantes et par la mise en œuvre des aides financières en apportant la garantie de l’Etat à de nouveaux prêts consentis aux entreprises. Enfin, l’adoption d’une période juridiquement protégée jusqu’à l’issue de l’état d’urgence sanitaire, neutralise les critères de l’état de cessation des paiements et suspend les délais d’exécution d’obligations tels ceux du bris de convenant financier, ou d’accomplissement de formalités tels la présentation des comptes annuels ou l’établissement des documents de gestion prévisionnelle.
Mais au-delà de la réponse gouvernementale, on ne connait pas encore véritablement l’ampleur des bouleversements que va apporter la crise sanitaire accompagnée d’une telle contraction économique qui laisse la trésorerie des entreprises exsangue. Le besoin de soutien financier n’est pas de même nature pour les grandes entreprises et pour les PME ou TPE. Si l’on relève que globalement les grands comptes jouent le jeu des paiements des factures durant le confinement, pour les PME comme pour les TPE, le retard de paiement des clients et fournisseurs est une sorte de crédit de court terme de l’entreprise débitrice. Certaines en peine de fonds propres chercheront à compenser ce manque de financement de haut de bilan par des moyens de financement par le bas de bilan. Les retards de paiement par un effet domino vont altérer la confiance dans la relation inter-entreprises et retarder le redémarrage. Cette situation est d’autant plus critique que, au dernier trimestre de l’année 2019, on relevait une augmentation de +30% des défaillances des PME de plus de + 50 salariés, ce qui montre la fragilité des entreprises de taille critique.
Cependant il n’y a pas de fatalité. En effet, il existe des outils de prévention des difficultés de l’entreprise visant à restaurer la confiance des parties prenantes qui est l’une des conditions clés de la reprise économique. Il s’agit tout d’abord de la médiation inter-entreprises, processus par lequel deux ou plusieurs entreprises en relation d’affaires confient à un ou deux tiers indépendants, neutres et impartiaux la tâche de les aider à résoudre leur différend. Face aux entreprises qui ne payent plus leurs fournisseurs, à l’incertitude liée à la poursuite ou non des relations contractuelles, et à l’incertitude des règles d’interprétation de la force majeure née de la pandémie, la médiation est pour les entreprises un instrument efficace de gestion du risque. A l’aune de l’engorgement des juridictions ante et post-confinement, le processus de médiation, qui peut être enclenché en cours de procès ou être conventionnellement prévu, permettra à l’entreprise à la fois de contenir l’aléa et le coût d’une longue procédure judiciaire et de conserver des liens commerciaux avec ses partenaires. C’est assurément un mode alternatif de règlement des conflits (MARD) à privilégier.
Il s’agit par ailleurs de prévenir les difficultés de l’entreprise sous l’égide des tribunaux de commerce. Les dirigeants d’entreprise en difficulté disposent de par la loi d’un certain nombre d’outils de prévention tels que le mandat ad hoc ou la procédure de conciliation plus formelle et encadrée par le président du tribunal de commerce. Ouvertes à la demande du dirigeant de l’entreprise, ces procédures sont à la fois discrètes et confidentielles et d’autant plus efficaces qu’elles seront mises en œuvre assez tôt. Cette première étape est, si nécessaire, suivie de la procédure collective rapide de sauvegarde accélérée ou de sauvegarde financière accélérée si les difficultés et l’endettement sont financiers – établissements de crédit ou assemblées d’obligataires. Alternativement, le dirigeant peut d’emblée recourir à la procédure collective de sauvegarde, avant la cessation des paiements, afin de rompre la poursuite d’un endettement qui pourrait s’avérer funeste pour l’entreprise et sa raison d’être.
Ces procédures collectives préventives permettent à une entreprise en difficulté de se placer sous la protection du tribunal de commerce afin d’engager des discutions avec ses créanciers pour restructurer sa dette. Les créanciers qui voient leurs créances antérieures gelées, savent que s’ils ne sont pas d’accord sur le plan proposé, l’entreprise viable obtiendra des délais. Selon France Stratégie, 62% des entreprises qui ont entamé une procédure de sauvegarde réussissent à restructurer leur dette, contre seulement 27% en procédure de redressement judiciaire […] Ainsi, l’ouverture de cette procédure ne ferait pas fuir l’ensemble des partenaires – salariés, clients, créanciers ou fournisseurs – ce qui augmente les chances de survie de l’entreprise. Il est important de souligner, d’une part, que la loi PACTE réaffirme la primauté de la prévention en termes de traitement des difficultés des entreprises et que ces procédures vont dans le sens de la directive insolvabilité du 20 juin 2019 qui sera transposée, et d’autre part, que l’efficacité de cet arsenal repose avant tout sur sa mise en œuvre rapide par la direction générale de l’entreprise.
Enfin, il faut bien voir que dans le contexte de la crise actuelle, particulièrement brutale, la tâche est ardue et l’ennemi est le temps qui passe. Le dirigeant doit savoir faire preuve de discernement et accepter qu’une entreprise en difficulté ne se gère pas de la même façon qu’une entreprise en bonne santé. Or, on note bien souvent parmi les dirigeants d’entreprise, soit une forme de déni de l’urgence de la situation, soit la conviction de leur propre capacité à surmonter seuls les difficultés. Même s’ils sont entourés d’équipes en interne, voire en externe, on relève parfois que celles-ci par un biais cognitif se persuadent à leur tour et confortent le dirigeant dans son déni et sa conviction. Dans ces conditions, le rôle « de lanceur d’alerte » de l’administrateur indépendant qui est à la fois extérieur et proche de l’entreprise, est particulièrement important auprès de la Direction Générale, afin qu’une fois les difficultés prévisibles avérées, celle-ci accepte un accompagnement par des professionnels des difficultés de l’entreprise et du retournement.