Investissements étrangers : une nouvelle donne intelligente
posté le 26 juin 2020
Le gouvernement français vient de resserrer encore le contrôle des investissements directs étrangers dans les secteurs stratégiques de la part d’acteurs de pays situés hors de l’Union européenne. Il a annoncé notamment l’abaissement prochain de 25 % à 10 % du seuil du capital d’une entreprise stratégique cotée à partir duquel la prise de participation d’un acteur non-européen sera contrôlée et soumise à l’approbation de Bercy. Cette mesure taillée pour des circonstances exceptionnelles, si elle est légitime, doit être nécessairement provisoire – avec un dispositif qui portera effet jusqu’au 31 décembre prochain – transparente et intelligente. Les biotechnologies sont par ailleurs désormais incluses dans la liste des secteurs stratégiques, qui comprend notamment la défense, l’eau, l’énergie, l’espace, les médias, les télécoms, les transports, la santé publique, l’alimentation, les systèmes d’information, la cybersécurité ou l’intelligence artificielle.
Nouveaux mécanismes. Ces mesures fait écho à la nouvelle doctrine européenne, exprimée fin mars par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, appelant les Européens à « défendre leur sécurité et leur souveraineté économique ». Déjà, le Règlement de l’Union européenne adopté en mars 2019, annonçait la mise en place de nouveaux mécanismes de coopération entre les États membres pour contrôler et filtrer les investissements directs étrangers, en vigueur le 11 octobre prochain.
Les nouvelles dispositions françaises, qui complètent le cadre existant (notamment fixé dans la loi PACTE), répondent en priorité à une relative inquiétude des milieux d’affaires sur les conséquences de la baisse significative de la valeur d’un certain nombre d’entreprises, due au choc économique créé par la pandémie du coronavirus. Il pourrait être en effet tentant pour des entreprises non-européennes de mettre à profit la situation actuelle pour prendre des positions minoritaires ou de contrôle, de gré ou via des opérations hostiles dans des secteurs stratégiques, liés par exemple aux technologies de l’information ou à la santé.
Mais le contrôle des investissements directs étrangers demeure un sujet complexe. Il doit répondre à un double objectif : continuer à encourager les investisseurs – car l’économie française est largement ouverte vers l’international et elle a besoin d’un courant d’investissements étrangers fort – et ne pas s’exposer à une perte de souveraineté dans des secteurs clés – dans lesquels nous devons préserver en France les centres de décisions et nos actifs technologiques, et idéalement retrouver une forme d’indépendance en termes d’approvisionnements essentiels.
Jeu de dupes ? Dans les circonstances géopolitiques actuelles, marquées par la guerre commerciale et technologique entre les Etats-Unis et la Chine, et compte tenu des difficultés économiques que vont rencontrer les entreprises françaises et européennes dans les prochains mois, il est donc compréhensible que le gouvernement français ait souhaité renforcer son dispositif de contrôle, comme l’Allemagne et d’autres pays membres de l’Union européenne. La nouvelle donne est intelligente et transparente. Ce nouveau dispositif vise notamment à décourager d’éventuels détournements des règles, s’agissant tout particulièrement de l’identité du bénéficiaire ultime de l’investissement et des chainons intermédiaires. Il est donc de nature à préserver la confiance tout en rehaussant une garde, qui, de l’avis de beaucoup, était un peu basse.
Mais l’Union européenne doit aussi démontrer davantage de cohérence. En matière d’investissements étrangers, les législations européennes sont encore très disparates. Un certain nombre de pays, notamment en Europe centrale et orientale, constitue des points d’entrée parfois trop lâches pour des investisseurs étrangers attirés par des secteurs stratégiques. Il importe donc que la coopération européenne en la matière soit renforcée, non pour construire une Europe « forteresse », mais de façon raisonnée et concertée, pour s’assurer que des règles communes soient fixées et appliquées.
Reproduction avec l’autorisation de L’Opinion. Tribune publiée le 23 juin 2020, accessible en ligne.