Entretien avec Gianfranco Fini*
Cet entretien a été conduit par Richard Heuzé**
* Homme politique italien. Fondateur de l’Alliance Nationale.
** Correspondant de Politique Internationale en Italie. Auteur, entre autres publications, de : Matteo Salvini, l’homme qui fait peur à l’Europe, Plon, 2019 ; Sicile, baroque et rebelle, Nevicata, 2021.
Après sa spectaculaire rupture avec Silvio Berlusconi en 2013, Gianfranco Fini s’est progressivement retiré de la vie politique. Il a toutefois suivi d’un œil bienveillant la percée fulgurante de Giorgia Meloni, dont il a autrefois encouragé les premiers pas au sein du pouvoir italien. Gianfranco Fini aurait pu se prévaloir de son expérience pour revendiquer un rôle dans la nouvelle équipe qui dirige le pays. C’est bien lui qui avait entrepris de débarrasser le Mouvement social italien (MSI) des oripeaux du fascisme pour donner le jour en 1995 à un parti de centre droit acceptable aux yeux de l’opinion publique, l’Alliance Nationale. Il a présidé pendant trois ans la Chambre des députés (avril 2008-mars 2011) et a occupé le poste de ministre des Affaires étrangères pendant trois autres années (2004-2006). Il fut également vice-président du Conseil de juin 2001 à mai 2006. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il avait été invité (en avril 2004) à un petit déjeuner du club Politique Internationale au cours duquel il avait donné un aperçu de son talent oratoire.
À la veille du centième anniversaire de la marche sur Rome, le 23 octobre dernier, le directeur de La Repubblica Maurizio Molinari rappelait que Gianfranco Fini avait eu le courage de qualifier de « mal absolu » les lois raciales de 1938. Sa pupille, Giorgia Meloni, aura-t-elle maintenant le cran « d’étendre cette condamnation absolue à l’ensemble de la dictature fasciste » ?
Dans cet entretien exceptionnel, Gianfranco Fini dévoile la vraie nature de Fratelli d’Italia et juge son chef, la toute nouvelle présidente du Conseil Giorgia Meloni. Sans a priori, mais sans concessions.
R. H.
Richard Heuzé — Vous avez attendu la fin de la campagne électorale pour faire connaître votre soutien à Giorgia Meloni (1), qui est pourtant issue de vos rangs. Pourquoi avoir mis tant de temps ?
Gianfranco Fini — En réalité, c’est même après le vote que j’ai fait cette annonce. Je m’étais abstenu volontairement pour ne pas donner l’impression d’un soutien officiel de ma part. Mais j’ai fini par répondre aux sollicitations de la presse étrangère qui voulait m’interroger sur la filiation entre l’Alliance Nationale et Fratelli d’Italia. J’ai voulu expliquer qu’il n’y avait aucun risque de dérive antidémocratique ou néofasciste.
Giorgia Meloni est née à la politique avec nous. Elle a participé au congrès de Fiuggi en janvier 1995, lorsque le Mouvement social italien (MSI) a été dissous pour créer l’Alliance Nationale (2). Nous sortions de la maison du père avec la certitude de ne plus y retourner. Elle avait 18 ans et faisait partie de Azione Giovani, l’organisation de jeunesse du parti. Elle y a adhéré dès le début, contrairement à un petit noyau de dirigeants, dont certains jeunes, qui ont refusé de renier l’héritage du fascisme. Ce congrès de Fiuggi a marqué un tournant capital, la fin d’une époque. Nous avions désormais l’ambition de devenir une droite de gouvernement. Cette évolution a été renforcée par mon voyage en Israël, en mai 2003, lorsque j’ai déclaré que le fascisme était le « mal absolu » et que les lois raciales de 1938 avaient été une « infamie » (3).
R. H. — Il a fallu une dizaine d’années à Giorgia Meloni pour sortir
du rang et prendre des responsabilités au sein du mouvement. Vous l’avez accompagnée tout au long, me semble-t-il…
G. F. — Oui, mais sans pour autant lui servir de mentor. Giorgia avait assez de caractère pour faire son chemin toute seule. Au fil des années, elle est montée en grade dans la hiérarchie parce qu’elle savait convaincre les jeunes de son âge. Quand il s’est agi de choisir un président pour notre mouvement de jeunesse, elle a été élue contre son rival qui était un homme. En 2006, je l’ai cooptée à un poste élevé dans le parti, me rappelant que j’étais moi-même entré en 1983 au Parlement parce que j’étais le leader des jeunes.
Lorsqu’elle a été élue, je lui ai demandé de devenir l’un des quatre vice-présidents de la Chambre des députés. Elle a aussitôt accepté alors qu’elle n’avait même pas une journée d’expérience parlementaire. Si je l’ai fait, c’est que je l’en savais capable. D’ailleurs, quelque temps après, le président de la Chambre, qui était à l’époque le communiste Fausto Bertinotti, m’a dit qu’elle remplissait son rôle de manière impeccable. Giorgia Meloni s’est imposée comme le symbole de la relève de la jeune génération.
Aux élections de 2008, elle a été réélue. Lorsqu’en mai Silvio Berlusconi a formé son cinquième gouvernement, j’ai décidé de ne pas en faire partie et de prendre la présidence de la Chambre des députés. Berlusconi voulait créer un ministère de la Jeunesse. Je lui ai alors recommandé Giorgia Meloni que je considérais comme la personne la plus adaptée pour occuper ce poste. C’est ainsi qu’elle est devenue la plus jeune ministre de la République italienne. Elle a su convaincre une audience plus vaste que les jeunes de centre droit, s’attirant même les appréciations favorables des associations juives. Elle a mis l’accent sur la nécessité de promouvoir le mérite. Ce n’est donc pas un hasard si son gouvernement actuel compte un ministère de l’Éducation et du Mérite, confié à Giuseppe Valditara. Elle a aussi mené une lutte acharnée contre toute forme de dépendance, à commencer par la drogue.
R. H. — C’est l’époque où vous commencez à prendre vos distances avec Silvio Berlusconi…
G. F. — J’avais adhéré à la formation qu’il avait créée en novembre 2007, le Peuple de la Liberté (PdL). Avec le recul, ce fut une erreur impardonnable. Il nous semblait naturel de rassembler la droite, mais nous avions créé un parti au seul service de son leader. Berlusconi est une forte personnalité. Il considère que diriger et commander sont synonymes. En politique, ce n’est pas vraiment le cas. Diriger ne suffit pas, il faut aussi convaincre.
Certains dirigeants du PdL m’ont suivi lors de ma rupture avec Berlusconi. Giorgia Meloni, elle, est restée. Mais elle est rapidement arrivée à la même conclusion que moi. En novembre 2012, dans le scepticisme général, elle quitte le PdL pour fonder
« Fratelli d’Italia », emmenant avec elle le courant national- conservateur du parti (4). Moi-même, je n’y croyais pas. « Mais où vont-ils ? », me suis-je demandé. Je reconnais que je me suis trompé. Certes, Giorgia a été aidée par certains dirigeants de la vieille garde d’Alliance Nationale et par au moins un ancien élément du MSI néofasciste, l’actuel président du Sénat, Ignazio La Russa. Mais aussi par des hommes qui viennent d’autres horizons politiques, comme Guido Crosetto qui fut un dirigeant de Forza Italia mais qui avait été très proche de la Démocratie chrétienne. Il était difficile, dans ces conditions, de voir dans Fratelli d’Italia la survivance de nostalgies fascistes. Les premiers pas ont été laborieux : flops électoraux successifs, difficultés multiples. Et moins de 2 % des voix à la première élection.
R. H. — Et la voilà, dix ans plus tard, propulsée à la tête du gouvernement italien…
G. F. — La « ragazza » Meloni, comme l’appelle Silvio Berlusconi, est une femme extrêmement tenace. Elle sait que, chaque jour, elle doit passer un examen et elle s’y prépare du mieux possible. On le voit aujourd’hui. C’est un président du Conseil qui étudie les dossiers. Quand elle prend la parole, elle le fait avec un grand talent oratoire et en connaissance de cause. Elle sait de quoi elle parle. Mais, surtout, il y a chez elle une grande cohérence entre ce qu’elle dit et ce qu’elle fait.
Elle suit deux axes : ne pas rompre avec la coalition de centre droit qui a remporté les élections et constituer un gouvernement qui réponde aux attentes des électeurs. C’est la raison pour laquelle Fratelli d’Italia a été la seule formation politique à ne pas soutenir Mario Draghi en février 2021. Son gouvernement était né dans des circonstances difficiles : crise économique, pandémie, contexte international tendu. L’ancien président de la BCE a été appelé comme le sauveur de la patrie en danger, auréolé de son combat pour la défense de l’euro. Il a constitué une majorité sans précédent qui rassemblait le parti Démocrate (PD), les Cinq Étoiles, la Ligue, Forza Italia, c’est-à-dire toutes les forces politiques du pays. À l’exception de Fratelli d’Italia (5).
À l’époque, j’avais dit à mes amis que Giorgia Meloni commettait une erreur en ne le soutenant pas. Je pensais que, compte tenu des circonstances, elle manquait à ses responsabilités nationales. En réalité la décision de ne pas appuyer le gouvernement Draghi s’est révélée gagnante. Pourquoi ? D’abord parce que Giorgia Meloni a bien fait comprendre à Draghi qu’elle n’avait aucun préjugé défavorable à son encontre. Au contraire, on peut même dire qu’une certaine sympathie est née entre eux. À tout le moins, un respect réciproque. Mais elle a aussi clairement dit qu’elle refusait de cautionner un gouvernement qui n’était pas issu d’un vote populaire. Partant du principe que si l’abstention ne cesse de progresser, c’est bien parce que les électeurs se demandent à quoi sert de se déplacer pour aller voter. Le PD, par exemple, a été longtemps au pouvoir alors qu’il n’a remporté aucune élection. Giorgia Meloni a conduit une opposition dure, mais raisonnée. Sans se livrer aux scènes de carnaval qu’on a pu voir en mars 1993 quand un député de la Ligue a brandi un nœud coulant en plein débat sur la corruption…
Pendant ce temps, de nombreux électeurs de la Ligue et de Forza Italia n’ont pas compris qu’après avoir gouverné pendant trois ans avec les Cinq Étoiles leur parti soutienne l’« homme des banques », le technocrate Draghi. Une attitude à leurs yeux trop désinvolte. Progressivement, ils se sont convaincus que Giorgia Meloni était « plus cohérente, plus linéaire ». Résultat : le 25 septembre 2022, Fratelli d’Italia a réalisé le score spectaculaire de 26 %.
R. H. — Personne ne s’y attendait ?
G. F. — Personne. Pas même moi. 26 %, vous imaginez ! On savait que Giorgia Meloni progressait rapidement dans les sondages d’opinion, mais pas à ce point.
R. H. — Pourtant, globalement, le centre droit n’a pas gagné d’électeurs…
G. F. — C’est un fait, et cela devrait être une sonnette d’alarme pour la démocratie italienne. L’abstention ne fait que croître. Entre 2018 et 2022, en quatre ans, on a assisté à une diminution de 10 % du nombre de bulletins dans les urnes. La Ligue et Forza Italia ont été siphonnés par Giorgia Meloni, qui a aussi pris des voix aux Cinq Étoiles (M5S). Quand ils sont arrivés au pouvoir en 2018, les Cinq Étoiles se targuaient de représenter la nouveauté. Mais ils ont été tellement confus qu’ils ont fini par perdre toute crédibilité. Sans le « revenu de citoyenneté », qu’ils ont instauré et défendu bec et ongles, et sans Giuseppe Conte qui, d’élégant président du Conseil s’est mué en « capo popolo » (NDLR : tribun populaire) retranché dans une opposition intransigeante, ils auraient disparu.
R. H. — Pourtant, Giorgia Meloni elle-même a campé ces dernières années sur des positions très radicales, proches du souverainisme. N’est-pas ce qui lui a permis de s’affirmer au sein de l’extrême droite ?
G. F. — Peut-être, mais je n’ai jamais compris pourquoi elle continuait à se dire souverainiste. Le souverainisme est une boîte vide. Avec les réseaux sociaux et les technologies de la communication, tout est devenu tellement rapide que se proclamer souverainiste ne veut plus rien dire, en Europe du moins. Que la Chine le fasse, c’est compréhensible. C’est un pays-continent, dont la sphère d’influence s’étend au-delà de ses frontières géographiques et qui est soumis à un régime communiste extrêmement féroce. Les États-Unis — ou plutôt le continent nord-américain avec le Canada — en seraient capables. L’Inde peut-être demain : pour mille raisons historiques et culturelles, elle a une identité particulière. Mais pour les Italiens le souverainisme est une illusion, voire une utopie. Il en est de même pour mes amis français — malgré leur grand orgueil national. Cela peut même devenir un moyen de se tirer une balle dans le pied. Prenez le cas du Brexit. Depuis qu’elle est sortie de l’Union européenne, la Grande-Bretagne ne fait qu’accumuler les déboires. Sans qu’on comprenne bien les avantages qu’elle en a retirés.
R. H. — Giorgia Meloni ne s’est-elle pas alignée sur les positions souverainistes de Steve Bannon lorsqu’il s’est rendu à la convention Atreju (convention de l’extrême droite italienne) à Rome en septembre 2018 ?
G. F. — Bannon est venu faire en Italie une visite d’agrément. Il n’était pas là pour promouvoir ses idées, encore moins pour essayer de nous convaincre. Jamais Giorgia Meloni n’a dit : « Sortons de l’euro, l’Union européenne est une cage qui opprime le citoyen européen. » Elle défend des positions bien différentes. Au fond, ce qu’elle reproche à l’Union européenne, c’est de s’occuper de
« petites choses » comme la longueur des haricots, qui devraient relever des prérogatives nationales. Et de ne pas avoir une politique étrangère commune, une politique de défense commune, une politique économique et fiscale commune, même si elle a une monnaie commune. L’UE est une table qui reste debout sur un seul pied. C’est un tour de magie !
Le Covid a eu au moins un effet positif. Il a conduit les Européens, après un premier moment de flottement, à unir leurs efforts pour combattre cette pandémie. Plus important encore : l’Europe a pris conscience que la guerre menée par la Russie sur le sol ukrainien est une menace pour la liberté, celle de l’Ukraine bien sûr, mais aussi celle de l’Union européenne dans son ensemble et de tous les pays de l’Otan.
Jamais Giorgia Meloni n’a préconisé un « Italexit », comme les Britanniques avec le Brexit. Et jamais elle n’a critiqué le soutien de l’UE à l’Ukraine, bien au contraire.
R. H. — Comment qualifieriez-vous Fratelli d’Italia aujourd’hui ? Sûrement pas néo-fasciste dans la mesure où le congrès de Fiuggi a marqué un tournant irréversible. Ni même post- fasciste ou souverainiste, semble-t-il. Alors, nationaliste ? Patriotique ? Ou simplement d’extrême droite ?
G. F. — Je définirais Fratelli Italia comme un mouvement « européen
et patriote ». Patriote au sens gaulliste de l’« Europe des patries ».
R. H. — Revenons un instant sur le gouvernement Draghi. Qu’a-t-il représenté ?
G. F. — Pourquoi ai-je dit que Draghi était une « ressource positive », pas seulement pour l’Italie, mais pour l’Union européenne dans son ensemble ? La sortie de scène de Merkel et les deux grandes urgences, pandémie et guerre en Ukraine, ont fait comprendre à l’Union européenne qu’il fallait agir dans l’unité. L’accord sur les prix de l’énergie obtenu au Conseil européen des 20 et 21 octobre 2022 à l’insistance de Draghi et de Macron est un pas dans la bonne direction.
La passation de pouvoirs entre Mario Draghi et Giorgia Meloni, le 23 octobre dernier, a étonné tout le monde. Jamais on n’avait enregistré une telle collaboration entre un gouvernement sortant et son successeur. On est passé d’un gouvernement technique à un gouvernement éminemment politique. Un gouvernement de droite dans lequel Roberto Cingolani, ministre de la Transition écologique dans l’administration Draghi, restera conseiller pour l’énergie dans l’équipe de Meloni, avec un droit de regard sur le dossier numéro un du moment. Mario Draghi avait d’ailleurs parfaitement compris que Fratelli d’Italia n’est pas anti-européen.
R. H. — Giorgia Meloni pourrait-elle faire alliance à Strasbourg avec le Rassemblement national de Marine Le Pen ?
G. F. — Jamais Fratelli d’Italia ne s’est associé au Rassemblement national de Marine Le Pen et, très probablement, jamais il ne le fera. Leur alliance aurait permis de renforcer la représentation de l’extrême droite au Parlement européen. Et pourtant, cela ne s’est pas fait. Pourquoi ? Parce que les deux formations ne partagent pas les mêmes objectifs. Le RN de Marine Le Pen fait partie du groupe, foncièrement eurosceptique, « Identité et démocratie » tandis que Giorgia Meloni s’est inscrite au groupe des « Conservateurs et réformistes européens », qu’elle préside depuis deux ans et qui vise, lui, à « promouvoir un programme euro-réaliste pour l’Europe ». C’est une énorme différence, et Giorgia est la première à le reconnaître.
R. H. — Sur quels points Fratelli d’Italia peut-il trouver des alliés à Bruxelles ?
G. F. — Sur la réforme du droit de veto par exemple. Fratelli d’Italia veut l’abolir. Cette règle de l’unanimité est pour eux le symbole d’une Europe qui ne marche pas, d’une Europe livrée aux intérêts et aux égoïsmes nationaux. Sur ce sujet, ils sont du même avis que la France ou l’Allemagne. Je pense aussi à la réforme du traité de Dublin III sur le droit d’asile. « Les pays de l’Union européenne ont le devoir de secourir et d’héberger les migrants » : telle est la règle sacro-sainte qui est censée s’appliquer partout. Accueillir d’accord, mais a-t-on l’obligation de garder ces migrants sur son propre territoire ? Il faut qu’une certaine solidarité joue en Europe. Sinon de quelle Europe parle-t-on ?
R. H. — Est-ce pour cette raison que Giorgia Meloni veut se rapprocher de la Pologne et de la Hongrie ?
G. F. — On ne peut pas faire abstraction de l’Histoire. Et celle de la France ou de l’Italie n’est pas nécessairement identique à celle d’autres pays. Prenons la Pologne. Durant le XXe siècle, elle a connu deux totalitarismes, l’Allemagne nazie et la Russie communiste. Non sans de grandes difficultés, elle a reconquis son indépendance et sa liberté après la chute du mur de Berlin. Grâce aussi à l’immense valeur spirituelle de Jean-Paul II. Il est évident qu’un ressortissant polonais a une sensibilité en matière d’autonomie et d’indépendance beaucoup plus grande que n’importe quel autre Européen. Il en va de même pour la Hongrie, qui a été envahie en 1956 par les chars russes. Et pour la Tchécoslovaquie qui a connu le même sort en 1968. Pour les peuples de ces pays, la liberté retrouvée et l’identité nationale sont des valeurs très fortes, auxquelles nous devons porter attention. Cela ne veut pas dire que si le gouvernement hongrois tente de soumettre la magistrature au pouvoir exécutif, on doit s’interdire de réagir. Viktor Orban reconnaît d’ailleurs lui-même qu’il doit répondre aux critiques de l’Union européenne à ce sujet.
R. H. — Revenons à l’Italie. Giorgia Meloni veut modifier la Constitution pour instaurer un régime semi-présidentiel à la française où le chef de l’État serait élu au suffrage universel. Soit dit en passant, c’était votre propre idée au départ. Pourra-t-elle y parvenir ?
G. F. — Entendons-nous bien. Toucher à la Constitution n’est pas un scandale en soi. Elle a déjà été changée à plusieurs reprises et le pays ne s’est pas disloqué pour autant. L’Italie en est à sa troisième République en soixante-dix ans. Mais aujourd’hui, à l’évidence, une réforme du titre 5 de la Constitution — qui concerne le rôle des régions — s’impose. Le modèle de la république italienne ressemble à celui des États-Unis. Sur ses vingt régions, cinq bénéficient d’un statut spécial. Je ne suis pas contre le fédéralisme, mais je crois que s’il ne s’accompagne pas d’un renforcement de l’exécutif, il peut créer plus de problèmes qu’il n’en règle. Or l’une des faiblesses majeures du système italien tient à la fragilité du pouvoir exécutif. Si un gouvernement tombe, une nouvelle majorité peut se trouver au Parlement pour en former un nouveau, même si celui-ci ne répond pas au choix des électeurs. Renforcer l’exécutif est une obligation. Il faut vraiment être mal informé ou de mauvaise foi pour prétendre que la droite propose cette réforme par « nostalgie du Duce ».
En Europe, il existe deux systèmes, très différents l’un de l’autre, qui reposent sur un pouvoir exécutif fort : le système semi- présidentiel français et le système allemand avec un chancelier puissant. Ces deux exemples montrent que l’Italie aurait intérêt à se doter d’un pouvoir exécutif qui soit capable de prendre des décisions, assorti de contre-pouvoirs. Dans le monde, seul le Japon a eu plus de gouvernements que l’Italie au cours des cinquante dernières années ! On tergiverse depuis trop longtemps. Pourquoi une réforme des institutions de bon sens est-elle présentée comme une dérive autoritaire ? Ces préjugés bloquent toute évolution. Je suis d’accord avec Giorgia Meloni sur la nécessité de mettre en œuvre sans tarder une réforme constitutionnelle qui permettra de moderniser réellement nos institutions. Au Parlement, elle-même et un groupe de députés de Fratelli d’Italia avaient déposé au printemps dernier une proposition de loi en vue de créer une commission bicamérale pour réformer les institutions. Sur le modèle de celle constituée en 1997 par le communiste Massimo D’Alema et qui rassemblait toutes les forces de l’arc parlementaire. J’en avais moi-même fait partie. Cette commission avait élaboré un projet de régime semi- présidentiel à la française mais, alors qu’une solution était en vue, Silvio Berlusconi avait tout fait capoter en se prononçant en faveur du système allemand.
R. H. — Revenons à Giorgia Meloni. Quelles qualités lui reconnaissez- vous ?
G. F. — La ténacité certainement. C’est une femme qui déteste être prise au dépourvu ou simplement en donner le sentiment. De nos jours, la politique a été progressivement remplacée par la propagande. La politique suppose des analyses, des plans à long terme, une vision. La propagande, elle, est une injonction de l’instant. On te dit : « Achète ceci parce que c’est bon pour toi. » Ou encore : « Regarde comme ce slogan marche bien, comme il te parle aux tripes ! » C’est une approche dont Giorgia a horreur. Je l’ai dit, elle potasse à fond ses dossiers. C’était déjà le cas il y a vingt-cinq ans quand elle présidait notre mouvement de jeunesse. Un trait de caractère qui lui est resté.
R. H. — Et ses défauts…
G. F. — Elle est très directe, très impulsive. Trop, peut-être, parfois.
Quand Berlusconi a tenu des propos scandaleux sur ses rapports « amicaux » avec Poutine, sa réaction — ou plutôt son absence de réaction— m’a étonné. Je m’attendais de sa part à un feu d’artifice. Elle s’est contenue et est restée de marbre, ce qui n’est pas dans sa nature.
R. H. — Ce qui a stupéfié en Europe, c’est sa harangue en mai dernier devant l’organisation d’extrême droite espagnole Vox, lors de son congrès de Marbella (6). On avait rarement entendu dans la bouche d’un dirigeant de parti une telle violence verbale…
G. F. — Ce fut une erreur. Surtout par le ton, la posture. Bien sûr, un meeting électoral n’est pas une conférence. Mais là, vraiment, il y avait quelque chose d’excessif. Je comprends qu’elle ait voulu exprimer sa solidarité avec Santiago Abascal, le leader de Vox. Leurs formations font partie du même groupe au Parlement européen. Mais je pense qu’en Espagne Fratelli d’Italia devrait plutôt dialoguer avec le Partido Popular, la principale formation de centre droit, pas avec les radicaux de Vox.
Cela dit, pour autant que je peux en juger, Vox est une formation réactionnaire et ultraconservatrice. Ses sympathisants sont nostalgiques d’une société qui n’existe plus. Ce qui n’a rien à voir avec le franquisme ou le fascisme. Au contraire, car le fascisme est profondément révolutionnaire. Bon nombre de mouvements de droite apparus récemment en Europe sont considérés comme néo- fascistes. À tort, selon moi. Prenez la thématique de l’immigration. Il ne fait aucun doute que garantir la sécurité des frontières est un devoir. Ce n’est même pas un choix.
Mais le grand défi culturel, c’est l’intégration des migrants une fois qu’ils sont sur notre sol. Or les deux modèles européens — l’assimilation à la française et le multiculturalisme britannique — ont échoué, en particulier avec l’immigration musulmane.
R. H. — Quelles sont les voies d’une intégration réussie ?
G. F. — Plutôt que d’intégration réussie, je préfère parler d’intégration réelle, qui ne soit pas seulement formelle. Si on se contente de dire aux gens : « Ne jetez pas les papiers par terre. Arrêtez-vous au feu rouge », ce n’est pas l’intégration. C’est le respect des règles élémentaires de vie en société. L’intégration suppose que l’on se conforme au système de valeurs de la société dans laquelle on vit. Et c’est là tout le problème. J’ai toujours dit que la patrie était la terre des pères. Mais la nation, c’est autre chose. C’est un ensemble de valeurs et de principes auxquels doivent adhérer les citoyens. Je vous signale que ce mot se trouve dans la Constitution italienne :
« Le Parlement représente la nation. » Elle n’est ni de gauche ni de droite.
R. H. — Selon vous, la citoyenneté devrait se mériter…
G. F. — Absolument. L’acquisition de la citoyenneté ne doit pas être une formalité purement bureaucratique menée à la sauvette. Elle ne devrait pas être octroyée automatiquement à 18 ans. En revanche, un jeune migrant qui arrive ou qui naît en Italie, qui accomplit ses huit années d’école obligatoire, qui parle l’italien, le comprend, l’écrit, connaît un peu l’histoire du pays et peut citer le nom du président de la République, celui-là, après un examen symbolique, a conquis le droit de devenir citoyen. Les symboles ont leur importance. Le serment sur la Constitution, le salut au drapeau sont également importants. Mais la vraie question est celle de la laïcité des institutions. C’est un point sur lequel, selon moi, on ne peut pas transiger. Pour les musulmans qui placent Allah au-dessus de tout, c’est un blasphème.
R. H. — Quelle est la position de Giorgia Meloni sur ces questions liées à l’immigration ?
G. F. — Il n’y a chez Giorgia Meloni aucun racisme, aucune volonté de marginaliser les migrants. Elle a même, dans son entourage proche, une conseillère d’origine égyptienne, Sara Kelany, elle- même issue de l’immigration. Pour moi, le « jus scholae » (7) est la voie à suivre. Pas le « jus soli ». Le gouvernement sera jugé sur la manière dont il abordera les questions liées aux « droits civils ». J’ai apprécié les propos de cette grande conscience morale qu’est Liliana Segre, rescapée de la Shoah et aujourd’hui sénatrice à vie. Elle a déclaré qu’elle jugera le gouvernement sur son action et qu’elle restera une « spectatrice sereine » (8).
D’autres membres du gouvernement ont pris par le passé des positions que je ne partage pas. C’est le cas d’Eugenia Roccella, la ministre pour la Famille, la Natalité et l’Égalité des chances. Elle est contre la reconnaissance des « couples de fait » et considère qu’une famille est nécessairement composée d’un père, d’une mère et d’enfants nés de leur union. Or, à l’évidence, la société a changé. Je suis personnellement favorable à une reconnaissance pleine et entière des couples de fait. Je crains que la droite ne défende des références traditionnelles qui n’ont pas de rapport avec la réalité.
R. H. — En 2002, vous-même, comme vice-président du Conseil dans le gouvernement Berlusconi, et Umberto Bossi, qui était à l’époque ministre et leader de la Ligue du Nord, aviez tenté de réglementer les flux migratoires. La loi dite « Bossi-Fini » prévoyait l’expulsion immédiate des immigrés en situation irrégulière, mais aussi des procédures d’entrée simplifiées afin de faciliter l’immigration régulière. Que faudrait-il reprendre dans cette loi ou comment devrait évoluer une nouvelle législation sur la régularisation des flux migratoires ?
G. F. — À l’époque de la loi Bossi-Fini, la plupart des immigrés partaient de chez eux pour des raisons économiques et étaient à la recherche d’un emploi. Les demandeurs d’asile étaient minoritaires et ceux qui fuyaient la guerre, encore moins nombreux. Aujourd’hui, la situation est très différente. L’immigration est devenue un phénomène global et concerne tous les États européens avec de grandes différences, bien sûr, d’un pays à l’autre. C’est à l’Union européenne qu’il revient de fournir des solutions efficaces. De déterminer le nombre d’immigrés autorisés chaque année à entrer en Europe et de les répartir entre les États membres. Ou encore de fixer des règles communes en matière de droit d’asile et de reconduite aux frontières des clandestins. Et c’est encore au niveau européen que devrait s’organiser une espèce de plan Marshall pour aider les pays d’origine des migrants économiques.
R. H. — Comment jugez-vous la polémique sur les immigrés qui a surgi à la mi-novembre entre l’Italie et la France ? Emmanuel Macron et son gouvernement ont-ils fait preuve d’arrogance envers votre pays ? Giorgia Meloni, de son côté, a-t-elle réagi de manière trop émotive ? Pensez-vous que cette crise aura une suite ?
G. F. — Cette polémique a été une tempête dans un verre d’eau. Elle a surtout été provoquée par des dynamiques de politique intérieure dans chacun des deux pays. Nous avons tous intérêt à faire retomber la pression et à préserver nos relations d’amitié et de collaboration. Certes, Paris et Rome ont le devoir de défendre leurs frontières nationales qui sont également les frontières extérieures de l’Europe, mais ni Meloni ni Macron ne peuvent se désintéresser à ce point des migrants. Pour éviter que de tels cas se reproduisent, il faut définir une stratégie commune, des règles permettant de mieux gérer les secours en mer et l’accueil de ces immigrés une fois débarqués à terre.
R. H. — Autre question : la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Les positions prorusses affichées par Silvio Berlusconi et Matteo Salvini ne risquent-elles pas d’affaiblir Giorgia Meloni (9)?
G. F. — Que les déclarations prorusses de Berlusconi et de Salvini fassent changer Giorgia Meloni d’avis, je ne le crois pas une seconde. Elle est trop tenace pour cela. Elle a à ses côtés, comme ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani qui est très fidèle à Berlusconi, mais qui n’est pas Berlusconi. Si demain Berlusconi disait à Tajani : « Antonio, tu dois déclarer que Poutine n’a pas tous les torts », je suis sûr que Tajani ne le ferait pas. Je le connais depuis cinquante ans. C’est un homme qui a fait toute sa carrière politique entre Strasbourg et Bruxelles. D’ailleurs, je ne sais pas si, aujourd’hui, Berlusconi referait une déclaration analogue à celles du mois d’octobre sur son amitié de longue date avec Poutine.
En tout cas, on ne peut pas affirmer, comme l’a fait la gauche, que Forza Italia ne méritait pas d’obtenir le portefeuille des Affaires étrangères à cause de Berlusconi. C’est une personne qui est nommée à ce poste, pas un parti. Et si cette personne offre toutes les garanties de respect de la démocratie, cela doit suffire.
R. H. — Giorgia Meloni devra pourtant composer avec Matteo Salvini qu’elle a nommé vice-président du Conseil et qui est, comme Silvio Berlusconi, ouvertement favorable à Poutine. Faut-il s’attendre de sa part à d’autres provocations, comme ce tee-shirt à l’effigie du dictateur russe qu’il arborait sur la place Rouge en 2014 ?
G. F. — Non, je ne le pense pas. Je dirais simplement qu’il est pragmatique. Ce que dit Matteo Salvini en réalité, c’est qu’avant l’invasion de l’Ukraine il n’était pas le seul à se tourner vers Poutine ; que, pour de nombreux Européens, la Russie était un interlocuteur privilégié. C’est tellement vrai que l’Italie dépendait du gaz russe à 45 %. L’invasion de l’Ukraine a effacé tous ces liens et a ouvert un nouveau chapitre de l’Histoire. Je suis certain, connaissant bien Salvini, qu’on ne le verra plus s’afficher avec un portrait de Poutine sur la poitrine. Avant l’invasion de l’Ukraine, avant les bombardements indiscriminés et les massacres de civils, Poutine a pu faire illusion. Ce n’est plus le cas. Il fait courir aujourd’hui un risque majeur pour la paix en Europe et dans le monde entier. Et quand il menace de recourir à l’arme nucléaire, on a toutes les raisons de s’alarmer.
(1) Née en janvier 1977 (ce qui fait d’elle une Capricorne) à Rome dans une famille relativement aisée, Giorgia Meloni a été élevée par sa mère, une femme de droite — son père, d’origine sarde, expert-comptable, ayant abandonné le domicile conjugal. La famille s’est installée à la Garbatella, quartier populaire de Rome à l’élégante architecture rationaliste. Dès l’âge de 15 ans, elle s’engage dans le mouvement de jeunesse du parti néofasciste, le Mouvement social italien (MSI). À 29 ans, elle est élue député du Latium et décroche la vice-présidence de la Chambre des députés. À 31 ans, elle devient la plus jeune ministre de la République italienne, en charge de la Jeunesse, dans le gouvernement de Silvio Berlusconi. En décembre 2012, elle se sépare de Berlusconi et quitte son parti, le PdL, pour fonder sa propre formation, Fratelli d’Italia (Frères d’Italie). En février 2021, elle a refusé de faire partie de la coalition d’union nationale de l’ex-banquier Mario Draghi et a conduit une opposition dure. Aux élections anticipées du 25 septembre 2022, son parti a obtenu 26 % des suffrages et 13,2 millions de voix, devenant ainsi la première force politique du pays.
(2) Le 27 janvier 1995, les militants du Mouvement social italien – droite nationale (MSI-DN) — se sont réunis dans la ville d’eau de Fiuggi (sud de Rome) pour abandonner toute référence au fascisme et se transformer en Alliance Nationale — une nouvelle formation ayant vocation à devenir un parti de gouvernement. Le congrès de Fiuggi fut appelé celui du « virage » (« svolta » en italien) parce qu’il orientait le parti vers une droite conservatrice et européenne. La minorité néofasciste animée par Pino Rauti, qui comptait 34 députés et 10 sénateurs, refusa d’en faire partie et fonda de son côté le Mouvement social droite tricolore, héritier direct du MSI.
(3) Lors de deux voyages effectués en Israël (en novembre 2003 comme leader de l’Alliance Nationale et en juillet 2010 en tant que président de la Chambre des députés), Gianfranco Fini a condamné radicalement le fascisme, le qualifiant de « mal absolu ». Ainsi que les lois raciales adoptées en Italie en 1938, « une infamie voulu par le fascisme ». À Jérusalem, il s’est recueilli à Yad Vashem, le mémorial de l’Holocauste, coiffé de la kippa.
(4) Le 18 novembre 2007 voit le jour, lors d’un congrès à Milan, le Peuple de la Liberté, nouvelle formation issue de la fusion entre Forza Italia de Silvio Berlusconi et l’Alliance Nationale de Gianfranco Fini. Divers petits partis de centre droit s’y associent. Aux élections suivantes, le PdL s’affirme comme la première force politique du pays avec 37,4 % des suffrages. Il siège à Strasbourg dans les rangs du Parti populaire européen (PPE). Ses dissensions avec Fini conduisent Silvio Berlusconi à proclamer la dissolution du PdL en novembre 2013 et à reprendre le nom de Forza Italia.
Le 28 décembre 2012, trois personnalités de droite en rupture de ban avec Silvio Berlusconi décident de fonder une nouvelle formation nationaliste et conservatrice, le Centre droit nationaliste. Il s’agit de l’ex-dirigeant du MSI Ignazio La Russa, qui en devient le premier président, du conservateur catholique Guido Crosetto et de la jeune députée de l’Alliance Nationale Giorgia Meloni. En février 2014, à la suite d’assises qui se sont tenues en ligne, cette formation se transforme en Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), reprend le logo de AN, la « fiamma » (la flamme tricolore, de création mussolinienne) et se dote d’un programme en dix points parmi lesquels l’arrêt de l’immigration clandestine, la sortie de l’euro, l’interdiction d’importer des biens faisant une concurrence déloyale au Made in Italy et l’élection du chef de l’État au suffrage universel. Les premiers pas sont laborieux : un échec pour Giorgia Meloni aux élections municipales de Rome en mars 2013 (elle obtient tout de même 20,7 % des suffrages), 3,7 % aux élections législatives de 2014, puis 6,5 % aux européennes de 2019. Et la surprise : 26,01 % en septembre 2022.
(5) Le 13 février 2021, l’ex-banquier Mario Draghi forme un gouvernement de coalition — le 67e de l’histoire républicaine — et obtient quatre jours plus tard la confiance du Parlement (262 oui et 40 non au Sénat ; 535 oui et 56 non à la Chambre des députés). En font partie neuf formations de l’arc parlementaire (treize petits groupes lui apportant un soutien extérieur). Seul Fratelli d’Italia restera dans l’opposition. Le gouvernement durera un an, neuf mois et neuf jours. Le Parlement ayant été dissous en juillet, et les élections, convoquées pour le 25 septembre, Mario Draghi administrera les affaires courantes jusqu’au 22 octobre 2022.
(6) Au congrès du parti espagnol d’extrême droite Vox à Marbella le 13 juin 2022, Giorgia Meloni s’est déchaînée contre les « pouvoirs forts » qui veulent modifier le vote des Espagnols et des Italiens. Après avoir évoqué la défaite des Maures et la reconquête de l’Andalousie en 1490 par les rois chrétiens d’Espagne, elle a invité l’auditoire sur un ton de plus en plus enflammé à afficher des « positions claires, sans compromis » : « Oui à la famille naturelle, non au lobby LGBT. Oui à l’identité sexuelle, non à l’idéologie de genre. Oui à la culture de la vie, non à l’abysse de la mort. Oui à l’universalité de la croix, non aux violences islamistes. Oui aux frontières sûres, non à l’immigration de masse. Oui au travail pour nos concitoyens, non à la grande finance internationale. Oui à la souveraineté des peuples, non à la bureaucratie de Bruxelles. »
(7) La nationalité serait décernée à l’issue d’une scolarité complète.
(8) Liliana Segre est née en septembre 1930 à Milan. Le 30 janvier 1944, elle est déportée avec sa famille vers le camp d’Auschwitz. En mai 1945, elle sera libérée par l’Armée rouge. Aucun de ses parents n’en reviendra. Sur les 776 enfants déportés avec elle, seuls 25 survivront. Son combat inlassable contre les horreurs de la Shoah a fait d’elle une référence incontournable de la lutte contre le fascisme, le racisme, l’intolérance et l’incitation à la haine. Elle a été nommée sénatrice à vie par le président Sergio Mattarella en janvier 2018. Elle a déclaré à la télévision :
« Je pourrais être inquiète (NDLR : face la formation d’un gouvernement d’extrême droite), mais j’ai un grand respect pour la Constitution. Les Italiens ont fait leur choix. Il faut combattre les préjugés qui nous ont fait tant de mal dans notre Histoire. C’est pourquoi je veux voir avant de juger ce que fera le nouveau gouvernement. Je veux rester une spectatrice sereine. »
(9) Alors que Giorgia Meloni était en pleine discussion en vue de former son gouvernement, Silvio Berlusconi a fait une révélation stupéfiante sur ses rapports avec la Russie. Dans un enregistrement audio communiqué le 20 octobre 2022 à la presse, il a affirmé qu’il s’était « un peu reconnecté avec le président Poutine, beaucoup même ». Avant de poursuivre : « Il m’a envoyé 20 bouteilles de vodka et une lettre très attentionnée pour mon anniversaire (NDLR : Berlusconi a eu 86 ans le 29 septembre 2022). J’ai répondu avec 20 bouteilles de Lambrusco et une lettre similaire. Il a dit que j’étais le premier de ses cinq véritables amis. » Silvio Berlusconi a aussi expliqué que la Russie « a été poussée à la guerre par le pouvoir de Kiev ». Ces déclarations ont créé un grand malaise dans l’entourage de Giorgia Meloni, une atlantiste farouche. Elles ont failli compromettre la nomination d’Antonio Tajani, leader de Forza Italia, au poste de vice-président du Conseil et ministre des Affaires étrangères.