La diplomatie contre la force ?

Fév 20, 2025

Entretien avec Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères par Isabelle Lasserre, rédactrice en chef adjointe au service international du Figaro

Isabelle Lasserre — Avant même que Donald Trump ne s’installe à la Maison Blanche, certains dossiers, comme celui du Proche-Orient, avaient commencé à bouger. Aujourd’hui, la plupart des dirigeants étrangers tendent à redéfinir leur politique étrangère en fonction des annonces du nouveau président américain. N’est-ce pas la preuve que la fermeté et le rapport de force poussés à l’extrême permettent d’obtenir des résultats ?

Jean-Noël Barrot — Cela fait maintenant sept ans que l’Union européenne se prépare, sous l’impulsion française, à entrer dans un monde régi par la loi du plus fort, en développant son industrie de défense, en se dotant d’instruments de défense commerciale, en faisant croître sa capacité budgétaire et financière. Plus récemment, des discussions ont eu lieu au sein de l’UE, et certaines de mes équipes sont allées à Washington rencontrer les responsables de l’administration américaine avant qu’elle n’entre en fonctions. La leçon de l’histoire très récente, c’est que ce sont la diplomatie et la négociation, plus que la brutalité et la force, qui ont permis de mettre fin aux hostilités au Liban et à Gaza.

I. L. — Il y a quand même eu la guerre avant la diplomatie…

J.-N. B. — Précisément. Mais la guerre s’est interrompue, au Liban, grâce aux efforts persévérants et inlassables des diplomates français et, à Gaza, grâce à l’action des Qatariens et des Égyptiens. La diplomatie n’a donc pas dit son dernier mot.

I. L. — Selon vous, quels sont les véritables objectifs de Poutine dans le conflit ukrainien ? Se projette-t-il au-delà de la seule Ukraine ? Si oui, quelles seraient ses prochaines cibles ? 

J.-N. B. — Vladimir Poutine inscrit son action dans une logique d’empire qui, par définition, n’a pas d’objectifs fixes. Il considère les frontières comme des variables d’ajustement. De fait, la ligne de front n’a cessé de se rapprocher de l’Union européenne. Face à une Russie impérialiste qui ne s’arrêterait pas à l’Ukraine, il nous faut bâtir une architecture de sécurité européenne susceptible de dissuader la menace et d’éviter que la ligne de front progresse encore davantage.

I. L. — Plus concrètement, quels pays pourraient être visés après l’Ukraine ?

J.-N. B. — Il suffit d’écouter les pays du flanc oriental de l’UE pour comprendre qu’ils se sentent aujourd’hui très directement menacés. À raison puisque, qu’il s’agisse des pays baltes ou de la Finlande, leurs frontières physiques ont été directement prises à partie, ciblées par la Russie. Que l’on parle de la Pologne, qui a subi des vagues instrumentalisées de migrants, ou de la Moldavie et de la Géorgie, qui ont fait l’objet de pressions insoutenables de la part de la Russie de Vladimir Poutine, on voit la menace grandir à l’Est.

I. L. — Un compromis qui laisserait à Poutine au moins une partie des fruits de son offensive serait-il acceptable ? Ne serait-ce pas une « prime à l’agression » ?  

J.-N. B. — Une défaite de l’Ukraine serait effectivement une prime à l’agression, une violation historique du droit international et une invitation à envahir leurs voisins lancée à tous les autocrates et à tous les dictateurs de la terre. Mais chacun son rôle et ses responsabilités. C’est aux Ukrainiens qu’il appartient de décider du moment et des conditions d’une négociation. C’est aux Américains d’exercer une pression sur Poutine qui, à ce stade, ne montre aucune intention de négocier. Et c’est aux Européens de bâtir les garanties de sécurité qui dissuaderont la menace une fois pour toutes. Si nous soutenons l’Ukraine depuis bientôt trois ans sur le plan militaire et sur le plan financier ainsi qu’avec de solides sanctions européennes contre la Russie, c’est par solidarité avec le peuple ukrainien. C’est parce que nous considérons que le droit international doit être respecté ; mais c’est aussi, et sans doute surtout, parce qu’il en va de notre propre sécurité. Les efforts que nous devrons consentir — j’irais même jusqu’à parler de sacrifices — après la guerre pour dissuader définitivement la menace et éloigner la ligne de front s’inscrivent en réalité dans la continuité de ce soutien que nous avons apporté à l’Ukraine depuis février 2022. Nous avons considéré que nous étions entrés dans une nouvelle ère, que la menace avait muté, qu’elle avait pris la forme d’une invasion à grande échelle, qu’elle s’était internationalisée, qu’elle s’était « hybridée » en investissant tous les champs de la conflictualité et que, face à cela, si nous voulions la paix, il nous fallait faire plus, il nous fallait faire mieux.  

I. L. — À supposer que Poutine conserve la partie orientale qu’il a envahie, quels types de garanties devraient être données à l’Ukraine pour l’avenir ? 

J.-N. B. — D’abord, je le redis, ces garanties de sécurité que nous apporterons dans une négociation globale conduisant à la paix, nous les apporterons pour l’Ukraine mais aussi ,et surtout, pour nous-mêmes. Pour éloigner la ligne de front et pour assurer la paix sur le continent européen. Nous avons ces discussions avec les services compétents et avec nos partenaires européens. Elles ont vocation à se cristalliser dans les mois à venir.

I. L. — Envisagez-vous un déploiement de troupes européennes, une force de réaction rapide ?

J.-N. B. — Ce qui est certain, c’est que nous devrons aller au-delà du mémorandum de Budapest (1), au-delà de ce que nous avons consenti au moment des accords de Minsk (2), puisque de toute évidence les garanties fournies à ce moment-là n’étaient pas suffisamment dissuasives et n’ont pas permis d’éviter l’invasion à grande échelle lancée par la Russie en 2022.

I. L. — Pensez-vous que les États-Unis participeront à ces garanties de sécurité ?

J.-N. B. — D’abord, il ne faut pas écarter l’intégration euro-atlantique de l’Ukraine ni abandonner la perspective d’une adhésion, à terme, à l’OTAN. Ensuite, parce qu’aucune paix ne sera possible sans la contribution des Européens, c’est avant tout à eux de bâtir la défense de leur continent, en lien étroit avec l’OTAN et avec les États-Unis, qui pourraient apporter leur pierre à cette architecture de sécurité. Mais les principaux bâtisseurs de cette architecture resteront les Européens.

I. L. — La Crimée est-elle définitivement perdue ? 

J.-N. B. — La réponse appartient aux Ukrainiens. Volodymyr Zelensky a dit publiquement qu’il voulait revenir à la ligne du 24 février 2022 pour démarrer les négociations et qu’il ne réclamerait plus ces territoires que par la voie diplomatique.

I. L. — Ne pensez-vous pas que si les Occidentaux avaient réagi fermement dès que la Russie s’est emparée de la Crimée, Poutine aurait limité ses ambitions ultérieures ? 

J.-N. B. — Il est difficile de refaire l’histoire. Ce que l’on peut observer c’est que, depuis le 24 février 2022, la menace a vraiment changé de forme et d’échelle. Nous l’avons constaté sur le terrain militaire en Ukraine. Mais on l’a vu aussi dans les autres champs de la conflictualité, y compris en France, avec une agressivité démultipliée dans le champ informationnel et cyber. 

I. L. — Dans le même esprit, ne pensez-vous pas que si les Occidentaux avaient, dès le début de l’agression russe, donné à l’Ukraine tous les moyens militaires dont elle avait besoin, l’issue eût été différente ?

J.-N. B. — Malgré les conquêtes territoriales de la Russie, l’héroïque résistance ukrainienne a fait échec au projet de Vladimir Poutine, qui était de prendre le contrôle du pays en quelques semaines seulement. Cela n’aurait pas été possible sans le courage admirable des Ukrainiens et la contribution décisive des Européens dans le domaine financier, militaire ou dans celui des sanctions.

I. L. — Mais si on avait fait plus ?

J.-N. B. — Bien sûr, on peut toujours espérer faire plus, mais quand l’Union européenne a décrété des sanctions contre les intérêts russes, c’était une décision sans précédent dans l’histoire de l’UE. Lorsque nous avons octroyé d’abord 50 milliards d’euros avec la facilité Ukraine puis à nouveau 45 milliards d’euros grâce à la saisine des actifs russes gelés, là aussi c’était un geste sans précédent. Nous avons, avec la Facilité européenne pour la paix (3), bâti des instruments nouveaux qui étaient encore inimaginables il y a quelques années. Il faut donc saluer la mobilisation des Européens qui, confrontés à une crise inédite, ont su surmonter l’inertie et sortir des habitudes pour soutenir l’Ukraine. Il faut aussi saluer la mobilisation des États-Unis. Même si leur participation financière à l’effort est inférieure à celle de l’UE, leurs livraisons d’armes ont permis à Kiev de résister à l’armée russe, pourtant beaucoup plus puissante sur le plan capacitaire, pendant trois ans. Théoriquement, étant donné le rapport de force, si on avait dû parier, peu d’observateurs auraient misé sur une telle résistance des Ukrainiens.

I. L. — L’argument selon lequel s’opposer aux ambitions de Poutine créerait un dangereux processus d’escalade n’ouvre-t-il pas la voie à toutes les formes de renoncement ? 

J.-N. B. — Si, bien sûr. Le seul agresseur, c’est Vladimir Poutine, et la seule escalade, c’est celle de la Russie. Je le répète : le seul moyen de garantir la paix sur le continent européen, c’est de faire beaucoup plus, beaucoup mieux, d’élever nos défenses pour éloigner la ligne de front. Soit nous restons aveugles à la menace et à ses transformations, et alors nous serons un jour ou l’autre entraînés dans la guerre. Soit nous élevons nos défenses pour dissuader la menace, et alors nous aurons la paix.

I. L. — Ne trouvez-vous pas que notre époque manque singulièrement de personnalités « churchilliennes » ? De leaders qui, face à une agression militaire caractérisée, refusent a priori tout accommodement avec l’agresseur ? 

J.-N. B. — Ce qui est clair, c’est qu’une partie des élites européennes sont gagnées par la fatigue ou l’esprit de capitulation. Quand le président de la République décide d’assumer une forme d’ambiguïté stratégique en n’excluant aucune option à l’avance, il perturbe ces élites alors même que ses déclarations sont saluées à l’est de l’Europe par celles et ceux qui sont plus directement concernés par cette menace. Il faut faire preuve de courage et de volonté en admettant clairement qu’il n’est pas question de revenir à la situation d’avant le 24 février 2022. Nous sommes entrés dans un nouveau monde et il nous faut adapter notre comportement en musclant notre capacité à résister aux agresseurs quels qu’il soient, qu’ils viennent du nord, du sud, de l’est ou d’ailleurs. À une époque pas si lointaine, nous dépensions 5 % de notre richesse nationale pour nous défendre. Nous avons vécu une période pendant laquelle, grâce à l’OTAN, nous avons bénéficié des dividendes de la paix. Mais cette époque est révolue.

I. L. — Lorsque Poutine insinue qu’il pourrait recourir à l’arme nucléaire, est-ce du bluff ? Pourquoi prendrait-il le risque de voir, en retour, son pays rayé de la carte ? 

J.-N. B. — C’est une rhétorique agitée par Vladimir Poutine depuis le début de ce conflit. Elle est irresponsable de la part d’un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et d’une puissance dotée. Il ne faut pas la négliger car elle témoigne de la transformation de la menace russe. Mais il ne faut pas, pour autant, se laisser intimider, car il serait contraire aux intérêts de la Russie de passer des paroles aux actes.

I. L. — On dénonce aujourd’hui les crimes de Bachar el-Assad. Or ses exactions sont connues depuis de longues années. Est-il normal d’attendre ainsi la chute d’un tyran pour dénoncer ses crimes ? 

J.-N. B. — Nous n’avons pas attendu la chute du tyran pour dénoncer ses crimes. Nous avons été aux avant-postes de la lutte contre l’impunité. Nous avons protégé César, cet employé des prisons syriennes qui a révélé l’étendue et le caractère industriel de la torture pratiquée par le régime contre son propre peuple. Nous avons émis des mandats d’arrêt contre Bachar el-Assad et certains dignitaires syriens. Cela étant dit, la fin du régime va permettre de mieux mesurer l’ampleur des atrocités dont le régime s’est rendu coupable. J’ai moi-même visité la prison de Sednaya, véritable abattoir humain, qui n’a pas fini de livrer au jour les horreurs qui s’y sont produites. J’y ai vu l’état des cellules, j’y ai découvert de véritables machines de torture utilisées pour compresser les corps à des fins politiques ou à des fins d’extermination. Il n’y aura pas de redressement moral et spirituel de la Syrie sans que justice soit rendue sur l’ensemble des crimes commis. Et dans ce travail qui sera long, la France se tiendra aux côtés des Syriens en apportant toute l’expertise nécessaire. Je relève néanmoins dans votre question un point qui est très important pour nous, à savoir la pleine applicabilité du droit international et plus particulièrement du droit international humanitaire. La France est pilote, avec d’autres pays dont le Kazakhstan, l’Afrique du Sud, le Brésil, d’une initiative portée par le Comité international de la Croix-Rouge, visant à renforcer les mécanismes d’application du droit international et notamment du droit international humanitaire.

I. L. — Les nouveaux maîtres de Damas vous inspirent-ils de l’inquiétude ? Parieriez-vous sur une évolution « modérée » de leur régime ? 

J.-N. B. — Nous ne signons aucun chèque en blanc et nous jugerons les autorités de transition sur leurs actes. Je me suis rendu sur place avec ma collègue allemande pour défendre les intérêts de sécurité français et européens auprès de ces nouvelles autorités, à commencer par la lutte contre le terrorisme de Daech, qui pourrait refaire surface. J’ai rappelé que des dizaines de milliers de combattants terroristes sont toujours détenus dans le nord-est syrien, dans des prisons gardées par les Kurdes, qui ont été nos alliés fidèles dans la lutte contre Daech et dont nous voulons que les droits soient préservés dans cette transition. J’ai aussi évoqué le sort des armes chimiques du régime de Bachar el-Assad et la nécessité vitale, pour la Syrie comme pour la France et l’Europe, d’éviter leur dissémination. Et enfin, plus généralement, j’ai réaffirmé que le succès de la transition politique repose sur la pleine association de toutes les communautés. Si cette transition échouait, le risque de l’instabilité et de l’islamisme ressurgirait.

I. L. — Mais êtes-vous optimiste ?

J.-N. B. — Je suis déterminé à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que cette transition réussisse, et qu’elle ne laisse de place ni au terrorisme de Daech ni à la prolifération des armes chimiques.

I. L. — Estimez-vous, comme plusieurs experts, que le régime iranien est entré dans une phase critique qui pourrait, à moyen terme, déboucher sur sa chute ? 

J.-N. B. — Le régime iranien, qui a soutenu toutes les formes de déstabilisation dans la région, à commencer par l’attentat terroriste antisémite du 7 Octobre, a subi un revers cinglant avec le cessez-le-feu au Liban et le cessez-le-feu, fragile mais réel, à Gaza, puis avec l’effondrement de Bachar el-Assad, dont le pays servait de nœud logistique pour l’« axe de la résistance » (4). Toute la stratégie de déstabilisation et de conquête de l’Iran, et donc son identité révolutionnaire, se trouvent en effet profondément remises en cause.

I. L. — Est-ce à dire que l’Iran devra revoir ses ambitions nucléaires à la baisse ?

J.-N. B. — Dans l’intérêt des Iraniens, l’Iran doit cesser d’être une force déstabilisatrice dans la région, doit renoncer aux objectifs de son programme nucléaire et doit remettre en cause ses activités balistiques. Pourquoi ? Parce que ces trois activités constituent, pour les partenaires régionaux, surtout pour Israël mais aussi pour la France et l’Europe, une menace qui pèse sur leurs intérêts de sécurité. Si l’Iran ne rentre pas de bonne foi dans cette démarche nouvelle, alors la pression ne cessera de s’accroître dans les semaines et les mois qui viennent.

I. L. — Comment la France réagirait-elle en cas de frappes israéliennes contre l’Iran ? 

J.-N. B. — La France est engagée depuis dix ans dans une démarche ferme et résolue de négociation avec l’Iran pour éviter que ce pays ne franchisse le seuil lui permettant de devenir une puissance nucléaire. Si nous y avons consacré autant d’énergie et autant d’efforts, c’est pour défendre la sécurité des Français. Aujourd’hui, avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, alors que l’accord de 2015 (5) expire dans moins d’un an, nous avons clairement signifié à l’Iran la nécessité de mettre fin aux graves violations de cet accord. Nous considérons que le moyen le plus efficace d’obtenir des résultats vis-à-vis de Téhéran est de conduire une politique de négociations appuyée sur une pression forte vis-à-vis du régime afin qu’il cesse ses activités de déstabilisation et qu’il revienne sur son programme nucléaire et balistique en contrepartie de la perspective d’une levée des sanctions.

I. L. — Et que se passera-t-il, en cas d’échec des négociations, si Israël frappe les installations nucléaires iraniennes ?

J.-N. B. — Nous avons fait adopter au Conseil des gouverneurs de l’AIEA une résolution demandant un rapport complet d’évaluation du programme nucléaire iranien et nous tirerons les conséquences de ses conclusions.

I. L. — Certains considèrent que Benyamin Netanyahou aurait d’abord dû négocier la libération des otages avant de frapper le Hamas. Cette thèse vous paraît-elle acceptable ?

J.-N. B. — Il est très difficile de refaire l’histoire. L’attentat du 7 Octobre fut le pire massacre antisémite depuis la Shoah. Dès les premiers jours, nous avons appelé à libérer tous les otages. Quant à l’offensive israélienne contre Gaza, nous avons régulièrement dénoncé les entraves à l’accès de l’aide humanitaire et les attaques contre les civils parce que nous estimons que le droit international doit être respecté partout. Mais aussi parce que nous considérions que ces violations du droit international portaient atteinte à la sécurité d’Israël.

I. L. — Le fait que les principaux chefs politiques et militaires du Hamas et du Hezbollah aient été éliminés est-il de nature à faciliter la transition politique et la transformation du cessez-le-feu en paix durable ?

J.-N. B. — Il ne faut pas minimiser les succès tactiques et militaires d’Israël vis-à-vis du Hamas et du Hezbollah. Mais seule la transition politique au Liban comme à Gaza est susceptible de garantir la paix. J’entends par là la mise en place d’une administration civile, sous les auspices de l’Autorité palestinienne qui doit être renforcée et réformée, afin que le Hamas ne reprenne pas pied dans cette enclave, qu’il ne vienne pas se substituer à une autorité légitime. Il en va de même au Liban où l’horizon est clair : celui d’un État fort, souverain, disposant du monopole des armes, capable d’assurer la sécurité de toutes les communautés, notamment de la communauté chiite, et capable de vivre en paix avec ses voisins.

I. L. — La prise d’otages n’est-elle pas, en tant que telle, un acte barbare ? Quelle est, à vos yeux, la meilleure façon de négocier avec des barbares ? 

J.-N. B. — D’abord on sanctionne les atteintes à la dignité humaine et au droit international, et c’est ce que nous avons fait vis-à-vis des dirigeants du Hamas. Puis on se préoccupe du sort des otages retenus dans l’enfer des tunnels de Gaza. Et on met en œuvre tous les moyens pour qu’ils soient libérés. Tout en étant intransigeant sur ce qui reste l’objectif principal : le Hamas ne doit pas reprendre le contrôle de Gaza.

I. L. — Pensez-vous que Marwan Barghouti, toujours emprisonné en Israël, est la seule personnalité qui pourrait, dans le cadre d’un règlement, être acceptée par toutes les factions palestiniennes ? 

J.-N. B. — Au-delà d’une question de personnes, l’essentiel est de réformer et de renforcer l’Autorité palestinienne. La France est l’un des rares pays à la soutenir directement sur le plan budgétaire. Pour que sa légitimité devienne incontestable il faut qu’elle puisse jouer un rôle central dans la solution à deux États, ce qui implique la création d’un État de Palestine.

I. L. — Aujourd’hui, les divers acteurs concernés par le conflit, en Israël et dans le monde arabe, ne croient plus à la perspective des « deux États ». Faut-il néanmoins continuer d’affirmer, mécaniquement, que c’est la seule option qui vaille ? 

J.-N. B. — Oui, car c’est vraiment la seule option qui vaille ! La seule susceptible de garantir une paix juste et durable non seulement en Israël et dans les territoires palestiniens, mais plus généralement dans la région. C’est pour cela que la conférence qui sera co-présidée par la France et l’Arabie saoudite en juin prochain est très importante. Elle permettra d’ouvrir un chemin clair et irréversible vers la création d’un État palestinien.

I. L. — Que pensez-vous des accords d’Abraham ? Pensez-vous que l’Arabie saoudite s’y ralliera ? Quel destin voyez-vous pour ces accords ? 

J.-N. B. — Les accords d’Abraham ont permis de faciliter la normalisation des relations entre certains pays arabes et Israël. L’objectif est d’avoir deux États côte à côte, avec des reconnaissances collectives et réciproques et des garanties de sécurité permettant aux Palestiniens et aux Israéliens de vivre en paix et en sécurité. C’est ce à quoi nous allons travailler avant la conférence du mois de juin. L’Arabie saoudite a témoigné de son intérêt pour un accord bilatéral avec les États-Unis, qui pourrait intégrer un processus de normalisation avec Israël, en échange d’une trajectoire claire et irréversible vers un État palestinien. En coprésidant cette conférence, la France jouera un rôle central dans cette conversation.