Le « civisme fiscal », nouvelle priorité des investisseurs responsables

Une étude du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) préconise de transformer durablement les pratiques fiscales des entreprises du CAC 40 pour les replacer au service de l’intérêt collectif. 

A la différence d’autres critères ESG, désormais clairement identifiés, la notion de responsabilité fiscale reste encore à définir et est, en pratique, rarement incluse dans les politiques de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). La contribution aux finances publiques via l’acquittement de l’impôt figure pourtant dans les Objectifs de Développement Durable (ODD), auxquels les grands groupes adhèrent massivement. Comment expliquer ce paradoxe ? L’étude du FIR « Passer de la Conformité à la Responsabilité Fiscale », publiée en mai 2020, analyse les pratiques fiscales du CAC 40 et plaide pour un changement d’approche dans ce domaine.

Basée sur une enquête auprès des leaders de l’économie française (25 entreprises du CAC 40 répondantes, soit un taux de participation de 60%), l’étude détaille 7 bonnes pratiques – à la fois économiquement rationnelles et socialement responsables – pour faire évoluer la politique fiscale de ces multinationales vers des standards de transparence et de responsabilité plus élevés. Au premier rang de ces propositions : placer la gouvernance fiscale de l’entreprise sous la responsabilité du Conseil d’administration, et intégrer la stratégie fiscale à celle de la RSE dont elle fait partie. L’objectif des investisseurs responsables ? Inciter les grands groupes à traiter cet aspect non plus sous l’angle exclusif de la compliance (respecter les lois et proscrire les pratiques d’évasion fiscale) mais comme un axe à part entière de leur politique de développement durable, au titre de contribution aux finances publiques.

La charge d’impôt s’inscrit dans le cycle de la répartition de valeur auprès des communautés locales, et contribue au développement de l’écosystème via des politiques publiques de qualité : santé et éducation, institutions régaliennes, infrastructures et administration… Un ensemble de services qui bénéficient en retour aux multinationales, tant dans leur pays d’origine qu’à l’étranger. Pour les investisseurs responsables, le comportement fiscal des entreprises sur le plan national et international constitue une grille d’analyse préalable et indispensable à une prise de décision éclairée.

Ils attendent donc des entreprises une position claire dans ce domaine. Cela implique d’une part, que celles-ci s’engagent à s’acquitter de leurs impôts dans les juridictions où elles produisent effectivement de la valeur économique (engagement concrétisé via une « charte de responsabilité fiscale », par exemple) ; et d’autre part, qu’elles s’engagent à rendre ces informations publiques et intelligibles, sous la forme d’un reporting annuel.  

Cette attente s’inscrit dans une tendance de fond, que les discussions en cours sur la taxe GAFA viennent raviver. En moins d’une décennie, les obligations des entreprises en matière de transparence financière et fiscale se sont considérablement renforcées : échange d’informations entre administrations fiscales via le projet BEPS de l’OCDE ; systématisation du reporting intégré au sein de l’UE ; en France, extension de la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. En parallèle, la réflexion sur la fiscalité responsable se précise par l’élaboration de potentiels critères de reporting, dans le domaine de la transparence et de la gouvernance. Citons à titre d’exemple la matrice Tax 207 élaborée en 2019 par la Global Reporting Initiative (GRI), organisation pionnière dans le reporting ESG.

La responsabilité fiscale est un enjeu est de taille. En France, le Conseil d’Analyse Économique (CAE) indique que le manque à gagner fiscal de l’État se chiffrerait à environ 5 milliards d’euros par an, conséquence directe des transferts de bénéfices des grandes entreprises vers des juridictions à taux d’imposition privilégié. Cette année, l’épidémie du Covid 19 est venue rappeler la place centrale de l’Etat Providence — financé par l’impôt et les cotisations sociales — pour garantir la résilience de nos sociétés : qualité du système de santé et des hôpitaux publics (pourtant exsangues), filet de sécurité du chômage partiel pour éviter les licenciements, et soutien aux entrepreneurs, bénéficiaires d’une allocation exceptionnelle.

Selon le Président du FIR, Alexis Masse, « la contribution aux finances publiques fait partie du contrat social. C’est un choix mutuellement bénéfique ».  A l’heure où la loi PACTE incite les entreprises à définir leur « raison d’être », reflet de leur contribution positive au sein de la société, celles-ci ne peuvent négliger l’importance de leur apport, en tant que contribuables, à l’intérêt général et à la cohésion sociale. Les investisseurs responsables accordent une importance grandissante au civisme fiscal : il est temps que les grands groupes traitent cette question au plus haut niveau et formulent des engagements concrets dans ce domaine, comme ils l’ont fait sur d’autres aspects de la RSE.