L’enjeu de la dynamique collective
posté le 23 octobre 2020
Cette crise sanitaire que nous imaginions, lors du confinement qu’elle serait terminée en septembre, joue les prolongations. Tellement qu’il est maintenant impossible de faire les moindres prévisions de sa date de fin. Il est probable qu’elle crée des effets profonds de fractures et de fragmentations sociétales. Notre monde est secoué par des contraintes contradictoires bien résumées par la formule « la fin du monde ou la fin du mois ». Si la fin du monde est progressive et décalée, la fin du mois pourrait être rapidement douloureuse mais surtout très inégalitaire.
Privilégier l’humain a favorisé l’individualisme.
Il n’est pas sûr que le monde d’après soit très différent de celui d’avant. Mais il est probable que cette crise du Covid ait fait évoluer les représentations des acteurs voire leurs mentalités. Commençons par la place de l’humain. C’est la première fois que, au niveau mondial, l’on privilégie l’humain sur l’économique. En quoi est-ce déterminant ? Cela pourrait l’être dans la mesure où cela crée une première fois, un précédent. Depuis des décennies, dans les entreprises, le discours habituel est de valoriser l’humain, de faire des grandes déclarations sur ce capital humain qui serait ce qu’il y a de plus précieux. Mais en réalité, ce sont presque toujours les considérations économiques qui primaient. Cette fois-ci, le choix de la protection de la santé s’est fait aux dépens de la création de richesse. C’est un précédent qui restera une référence dans les relations au sein des entreprises. Pour autant, cette prise en compte de la dimension humaine, n’a pas été, comme on aurait pu s’y attendre un facteur cohésion entre les acteurs. D’une part en fonction du métier de chacun la demande qui leur a été faite de s’exposer n’a pas été la même. D’autre part, chacun a interprété l’injonction à la protection à sa façon. En fonction de ses inquiétudes, de sa situation personnelle et familiale, de sa santé, de son rapport à la maladie, chacun s’est protégé au niveau qu’il considérait adéquate. Or, la plupart du temps pour faire son travail, cela suppose de s’exposer. Cette période a marqué un clivage entre ceux qui se sont exposés pour leur entreprise et ceux qui se sont protégés quelles qu’en soient les raisons.
La méfiance isole.
Paradoxalement, alors que l’humain prend une nouvelle place, cette crise exacerbe la méfiance entre les acteurs. En conduisant tous les pays à fermer leurs frontières cette crise désigne l’étranger comme un danger. Cette méfiance on la retrouve au sein de chaque pays, au sein de chaque quartier, au sein de chaque entreprise. L’injonction aux gestes barrières du masque à la distanciation sociale, nous rappelle (à juste titre) que toute personne est potentiellement dangereuse. Cette méfiance généralisée induit des tensions. Tensions entre ceux qui ont eu la maladie et ceux qui ont besoin de se protéger, tensions entre ceux qui sont exposés en allant travailler sur le terrain et ceux qui sont restés à l’abri du télétravail, tensions demain lors de la crise économique qui se profile, entre ceux qui garderont leur emploi et ceux qui l’auront perdu. Notons qu’en France nous sommes les champions de la méfiance.
Les risques de la distance.
Troisième dimension, la digitalisation de nos relations. La généralisation du télétravail pendant le confinement a, de fait, créé une distance entre les acteurs. Les avantages du travail en distanciel sont réels. Chacun a pu apprécier de ne pas avoir la corvée des transports pour se rendre à son travail. Certains préfèrent ne pas avoir à travailler en open space et ne pas être sous le regard permanent de leurs collègues. D’autres voient l’avantage à ne pas être dérangés en permanence. Mais on a sous-estimé les effets du travail à distance. D’abord, il isole les acteurs et rend plus difficile la possibilité de cultiver une relation de qualité. Le soutien social qui est un facteur clé de la régulation du stress ne peut pas se faire de la même façon à distance. Le risque est que chacun ne soit plus qu’une unité de production avec de moins en moins de place pour les dimensions humaines et relationnelles.
En première ligne, le dirigeant.
Comme toujours, il porte les préoccupations dans un contexte de contraintes beaucoup plus élevé et qui changent tout le temps. Il est fondamental qu’il adopte une posture centrée sur le présent. Pour cela, il lui faut dépasser les désagréments du quotidien et trouver, avec ses équipes les moyens pour en compenser les effets. Certes le masque est pénible, donc comment faire pour le rendre le plus supportable possible puis l’oublier comme le myope oublie qu’il a des lunettes sur les yeux. Il en est de même avec toutes ces contraintes nouvelles qui tombent les unes après les autres. Pour ne pas trop en souffrir, il faut essayer de s’y adapter vite. Ce qui suppose de se centrer non pas sur ce qu’on regrette de ne plus pouvoir faire mais sur comment répondre à ses besoins dans ce nouveau cadre et pas attendre qu’il change. Comment avoir des moments de convivialité, de chaleur humaine, d’échanges créatifs, etc. C’est à réinventer. Tenir c’est se centrer sur l’adaptation à la situation donc être dans le présent et ni dans le passé ni dans l’avenir. C’est aux dirigeants d’aider les équipes à se mettre dans cet état d’esprit. L’un des secrets est de décider une fois pour toute que l’on sera de bonne humeur quoique qu’il arrive. C’est une forme de discipline de l’humeur comme la gymnastique en est une du corps et la méditation une de l’esprit.
Par ailleurs, les enjeux collectifs vont être au premier plan. Tout est fait pour que chacun se replie sur soi dans une ambiance de soupçon. Or l’entreprise a avant tout besoin de confiance, de jeu collectif et de culture commune. Ce qui signifie dépasser l’exacerbation individualiste de la période que l’on vient de vivre.
Les ressorts d’une nouvelle dynamique collective.
Pour créer cette dynamique, les dirigeants disposent de différents registres. Le premier est inspirationnel. Il s’agit de donner du sens à ce qui est réalisé. La raison d’être y contribue à condition qu’elle s’incarne au quotidien dans ce que font les équipes. A l’issue de la prise de recul liée au confinement l’aspiration à se consacrer à ce qui fait sens s’est renforcée. Les dirigeants doivent en tenir compte. Un autre levier est celui de la culture commune. Avoir une culture d’entreprise forte et vivante suppose de s’y consacrer. Outre la nécessité de la définir, il faut la faire vivre pour qu’elle soit partagée et alimentée par les acteurs. Cette culture permet de s’aligner sur une hiérarchie de valeurs et de donner les bases d’un code comportemental. Elle est fondamentale pour créer une cohésion et un sentiment d’appartenance. Il est aussi nécessaire de refixer des règles de fonctionnement qui régulent le cadre de la vie collective. Et notamment la façon d’utiliser le travail distanciel et présentiel. Comme le travail distanciel a été imposé pour des raisons de santé, il a été u:lisé par chacun en fonction de ses propres critères. Enfin, il faut encourager et valoriser le soutien social au sein des équipes. Il est indispensable que les acteurs trouvent une bonne ambiance, et cultivent le plaisir relationnel. De même, il doit être explicite que le soutien doit prévaloir sur la rivalité. Et ce soutien doit être valorisé dans l’évaluation de la performance des acteurs.
Cette crise a fractionné l’entreprise profondément. Il faut en prendre la mesure et la transformer en opportunité de repenser le jeu collectif et l’aspiration commune à s’inscrire dans un projet porteur de sens